samedi 2 novembre 2013

Please don't take my sunshine away...


Un soupçon de soleil et des fleurs aux couleurs vives pour amorcer ce billet...

Lorsque j'étais encore sur mon île, la Toussaint était très attendue dans la famille.
Avec ma mère, nous allions nettoyer la tombe de ses grands-parents. Nous procédions à un nettoyage méthodique de la sépulture et nous jardinions, pour reverdir, refleurir.

Le 1er novembre, nous revenions pour l'orner plus encore, cette fois-ci avec des bouquets, et en compagnie d'autres membres de la famille. Nous entreprenions aussi une visite des autres tombes de la famille disséminées d'un cimetière à l'autre. Mon beau-père, ma tante, ma grand-mère, ma grand-tante ou qui sais-je... La bonne humeur était au rendez-vous, puisque cet épisode amenait chaque année son lot d'imprévus comiques. Ma tante qui se trompait de tombe, qui nous interpellait et nous enjoignait en criant dans le cimetière de reprendre nos fleurs ; mon beau-père qui manquait de nous arroser avec "l'eau de morts" ; la fontaine du cimetière tapissée d'innombrables escargots qui nous dégoutaient tous un peu ; le chat qui dormait sur la tombe d'à coté, que nous avions dérangé et qui nous faisait sursauter dans sa fuite ; ma mère qui pestait à l'idée que nous montions dans sa voiture les chaussures pleines de terre...

Le soleil était lui aussi souvent au rendez-vous à cette date. Pour moi, le 1er novembre était le premier jour de l'été, car la chaleur ne manquait pas de se rappeler alors à nous.
J'ai le souvenir de la lumière éclatante qui baignait cette journée, la chaleur qui faisait dégouliner les bougies du monument aux morts qui se revêtait alors d'une gangue de cire et de pétales [qui ne partait jamais complètement]. Le soleil qui tapait sur la peau. L'air chargé de l'odeur des fleurs cueillies ou plantées et de la poussière battue des allées du cimetière. L'intérieur des caveaux blanchis qui pouvait à peine offrir un répit à la chaleur humide. Les frangipaniers qui irritaient les passants de leur lait lorsqu'une branche venait à casser. La foule de gens venus fleurir leurs morts s'affairant consciencieusement...
Le sable du cimetière [marin] de Saint-Pierre. Les pierres noires et les caveaux blancs du cimetière de Saint-Louis. Les si singuliers coquelicots du cimetière du Tampon [des coquelicots sous les tropiques !]. Les manguiers le long de la côte de La Rivière Saint-Louis...



La tristesse n'est pas vraiment présente. On se salue de loin en souriant. On se raconte des histoires de famille. On revient sur certaines querelles qui ne nous concernent pas. On parle à nos morts pour s'excuser des bêtises faites en leur présence comme celle de se tromper de vases (ou de tombe). On leur demande l'autorisation de plaisanter sur le temps où ils étaient encore présents. On leur demande aussi de ne pas venir nous tirer les orteils dans nos rêves si l'on profère un juron. On ne mange pas avec eux, même si la découverte de bouteilles, de fruits, de plumes de volailles et d'épices sur certaines tombes donnent à ces dernières des allures de tables de pique-nique...ou de cérémonie. Et silencieusement on leur adresse une prière, celle d'être en paix, et de nous garder aussi en paix.


La Toussaint est un jour de fête joyeuse pour moi. L'été austral arrivait enfin. A mesure que la fin de l'année approchait, les journées se paraient de couleurs, de lumière et de chaleur...

Contrairement à ici. Où je me sens tout de même chez moi aussi. Où l'automne désormais humide et grisaillant me fait me languir de ma fête des morts. Et du soleil.